Éditorial | Réformes politiques sans sécurité : un projet hors du réel

Le communiqué gouvernemental publié le 19 août 2025, à l’issue de la 22e édition de la plateforme « Les Mardis de la Nation », annonce en grande pompe un programme de « renforcement des capacités » des partis politiques. Présenté par le ministre délégué chargé des questions électorales et constitutionnelles, M. Gracien Jean, ce projet se veut une étape vers une meilleure gouvernance, le renouvellement du personnel politique, et la préparation technique aux prochaines échéances électorales.
Le document évoque toute une série de réformes structurelles : gestion financière modernisée, professionnalisation des ressources humaines, intégration des technologies de l’information, amélioration des bases de données, rationalisation du financement politique.
Mais il est profondément troublant de constater l’écart entre ces propositions théoriques et la réalité que vivent des millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens.
Pendant qu’on planifie tout cela derrière des vitres teintées, sous l’air conditionné des bureaux ministériels, dehors, les balles sifflent. Des familles dorment à même le sol. Des enfants s’endorment sur des morceaux de carton, exposés à la violence et à la faim. Et une jeunesse désabusée n’espère plus qu’un aller simple vers n’importe quel ailleurs. Et c’est dans ce chaos qu’on parle de « renforcement institutionnel » ?
Sans vouloir disqualifier l’initiative, on ne peut ignorer la question centrale : est-ce vraiment le moment ? Dans un pays où l’insécurité est devenue la norme, où l’État a perdu le contrôle de vastes territoires, où les institutions ne sont plus que des coquilles vides, peut-on sérieusement considérer que la priorité soit l’organisation administrative des partis politiques ?
Avant de réformer les partis, encore faudrait-il qu’ils puissent se réunir sans craindre un enlèvement. Qu’ils puissent faire campagne sans risquer leur vie. Qu’ils puissent s’exprimer librement, sans menace ni censure.
À quoi bon structurer les partis si l’espace démocratique est inexistant ? Si les libertés fondamentales (circuler, parler, militer) ne sont pas garanties ? Un parti politique, aussi bien organisé soit-il, ne peut survivre dans un climat de peur et de répression.
Il convient aussi de rappeler que ce programme s’inscrit dans le cadre de l’Accord du 3 avril 2024, un texte largement contesté, autant dans sa légitimité que dans sa mise en œuvre. Cet accord, dont les termes restent flous, a été rejeté par plusieurs secteurs de la société civile et de l’opposition, affaiblissant dès le départ la base politique de ce projet.
La démocratie ne se décrète pas. Elle ne se construit pas à coups de programmes technocratiques ou d’annonces sans ancrage. Elle repose sur la confiance, sur la justice, sur la sécurité, et sur une volonté réelle de dialogue. Tant que ces fondements ne seront pas rétablis, toute tentative de « modernisation politique » ne sera qu’un écran de fumée.
par JRS