Haïti – Culture : 100 millions pour faire danser la misère

Alors que le pays s’effondre sous le poids de la violence, de la faim et du désespoir, le gouvernement trouve soudainement 100 millions de gourdes pour financer des fêtes champêtres. Oui, vous avez bien lu : dans une Haïti à genoux, incapable d’assurer les services de base, l’État choisit de battre tambour et de faire danser les foules sur les cendres encore fumantes de la République.
À l’occasion du 234ᵉ anniversaire de la cérémonie du Bois-Caïman — haut lieu de mémoire de la révolte servile et du rêve d’émancipation — l’administration en place annonce, en grande pompe, un programme censé honorer l’histoire : bornage symbolique, atelier « participatif », prestations artistiques. Un théâtre de façade, financé à coups de millions, pendant que les écoles ferment, que les hôpitaux agonisent, et que les citoyens fuient les balles.
Le ministre de la Culture, Patrick Delatour, accompagné du secrétaire d’État à la Communication, Bendgy Tilias, a dévoilé ce programme dans l’euphorie des « Mardis de la Nation », comme si le pays n’était pas en état d’urgence permanente. Le département du Nord, berceau historique de cette commémoration, rafle à lui seul 15 millions de gourdes. Pour quels résultats concrets ?
Car ne soyons pas naïfs : ce genre d’initiative, loin de renforcer la mémoire collective ou de structurer l’offre culturelle, sert trop souvent de prétexte à une dilapidation méthodique des fonds publics. L’argent injecté dans ces festivités éphémères — dont on ne publiera jamais le moindre rapport d’exécution — n’est pas un investissement. C’est une diversion.
Il ne s’agit pas ici de remettre en question la valeur symbolique du Bois-Caïman, ni l’importance de la culture dans une nation meurtrie. Il s’agit de dénoncer l’hypocrisie d’un État qui prétend célébrer la liberté pendant qu’il abandonne son peuple aux chaînes modernes de l’insécurité, de l’ignorance et de la misère.
Haïti n’a pas besoin de plus de tambours. Elle a besoin d’un État fort. D’institutions solides. D’une vision claire. Tant que nous choisirons la fête plutôt que la réforme, nous ne ferons que tourner en rond — pendant que la nation s’enfonce dans le silence des urgences oubliées.